C’est assez inédit de rentrer en tant que stagiaire dans une Maison de champagne et d’évoluer comme cela au poste d’œnologue ?
C’était aussi le cas pour Elisabeth Sarcelet qui est arrivée comme stagiaire en 1984. C’est une Maison où on reste et où on se sent bien. Nous sommes entourés par des équipes supers. Globalement, les gens restent.
Castelnau est présent sur 150 crus sur toute la Champagne, c’est un patchwork très intéressant du terroir champenois, comment gérez-vous cela au moment des vendanges ?
On appelle ça « la ventilation », les vins sont dispatchés, par cépages et par crus. C’est un rubik's cube au moment des vendanges, on fait plus appel à notre l’esprit mathématique à ce moment-là. On rassemble quelques régions aussi, comme celle de Belval, celle de Montgueux avec un très bel approvisionnement de Chardonnay, ou à Riceys pour le Pinot noir. Et effectivement, pendant les vendanges, on a entre 60 et 70 éléments différents à dispatcher dans les cuves. Chez Castelnau, nous avons une équipe qui fait un travail considérable sur laquelle je peux aussi m’appuyer.
Vous succédez donc à Elisabeth Sarcelet, Cheffe de cave de la Maison depuis 37 ans, c’est assez inédit en champagne que la transmission de la fonction de cheffe de caves se fasse d’une femme à une autre ?
C’est, en effet, assez inédit, mais en réalité, c’est très naturel. Ce n’est pas du tout une histoire de parité, ni de féminisme, je suis là depuis un moment, je connais la philosophie des vins de la cave, c’est surtout une histoire de compétence.
Quelle est cette philosophie des champagnes Castelnau justement ?
C’est avant tout un long vieillissement. On travaille dès la vinification pour essayer d’amener les vins le plus longtemps possible sur de longs vieillissements sur lies. Nous avons une politique de vin de réserve, que nous allons essayer de déloger le moins possible. Nous n’avons pas spécialement de cuverie pour les vins de réserve d’ailleurs. Nous souhaitons conserver leurs jeunesses le plus longtemps possible. C’est donc un véritable travaill sur le temps, et la maîtrise des longs vieillissements. Chez Castelnau, nous concevons des vins qui sont généreux, profonds, sur des arômes tertiaires de grillés, de noisettes, qui ont ravi mon palais quand je suis arrivée. L’idée, c’est de continuer sur cet ADN-là.
Allez-vous mettre votre « pâte » dans les futures cuvées ?
Je reste sur cet esprit originel de la Maison, parce que c’est passionnant d’essayer de travailler sur ce temps. Par exemple, notre Brut réserve reste 6 ans sur lies avant d’être commercialisé. En ce moment, nous sommes sur la vente du millésime 2006. Je trouve cela passionnant. Il existe pas mal de levier, nous les explorons du mieux qu’on peut. Il y beaucoup de recherches en Champagne autour du sujet. Nous avons un partenariat, pour une année, avec l’équipe Effervescence de l’Université de Reims pour travailler autour du temps et du long vieillissement sur lies.
Et de façon plus précise quelles sont les évolutions possibles ?
Nous allons travailler sur l’étanchéité des capsules, la forme de la bouteille, la dimension du goulot… Tous ces éléments influent sur le processus de vieillissement du vin.
Pouvez-vous nous parler des différentes gammes de champagnes Castelnau ?
Nous avons notre Blanc de blanc millésimé, c'est le 2006 qui est en ce moment encore commercialisé, notre « Hors catégorie », une cuvée avec une touche subtilement boisée, grillée, avec des nuances de cuir, en bouche il sera citronné, légèrement crémeux. Nous concevons aussi un Rosé très voluptueux et tout en délicatesse, un Extra-brut qui allie le ciselé des Chardonnays et la rondeur des Meuniers, un Brut Réserve et un Brut plus fruité qui n’a « que » 3 ans de vieillissement. Ces dernières années, nous avons travaillé sur une cuvée Soléra également qui commence avec un vin de 2009, mais qui ne sera pas présentée au public tout de suite.
Travaillez-vous sur une cuvée « signature » ?
Pas vraiment, parce que chez Castelnau, nous avons un panel de dégustation. Le chef de cave a le dernier mot, mais nous avons une équipe d’œnologue pour réaliser un assemblage. Pendant le COVID, nous nous sommes bien rendus compte que c’était un outil indispensable pour une Maison et garantir la qualité des vins. Le vrai secret, je pense, c’est de savoir bien s’entourer de gens compétents et bien entraînés au « goût maison ». Au moment des assemblages nous avons fait plein d’essais, de dégustations régulières. C’est une cuvée qui est le fruit du travail d’une équipe complète.
En 2021, vous prévoyez de sortir une cuvée bio ?
Oui, ça me tient très à cœur. Cette cuvée-là, j’en suis ravie, c’est un mode de conduite de la vigne qui, je pense, est de plus en plus indispensable. En Champagne, c’est encore délicat et compliqué, mais le vigneron qui fait du bio, il est proche de ses vignes, au contact permanent du végétal et très à l’écoute de son raisin. Du coup, souvent, on a des résultats très précis. Cette cuvée bio est déjà en bouteille. C’est un assemblage des trois cépages, qui offre une belle représentation du terroir champenois. Elle sera un peu plus jeune et fringante, avec 15 mois de vieillissement, et elle se voudra plus fruitée, différente du reste de la gamme que nous proposons chez Castelnau. Notre cuvée bio devrait sortir pour l’automne 2021, début 2022 au plus tard.