De 1973 à 1993, c’est votre papa, Jean-Marie Malassagne qui gère donc le domaine ?
Absolument, c’est lui qui va renflouer les comptes à bout de bras. Dans les années 80, c’est un peu la période euphorique du champagne, les ventes explosent. Les prix de vente augmentent, le prix du kilo de raisin augmente également, c’est un cercle inflationniste qui fonctionne tant que tout va bien. Sauf qu’en 1991, quand la guerre du Golfe est déclarée, tout baisse, les ventes et les prix et en champagne il y a un décalage entre la mise sur le marché et la production. Les bouteilles qui vieillissent en cave sont à un prix très élevé. On se retrouve avec des bouteilles très chères vendues à des prix très bas. La plupart des Maisons perdent beaucoup d’argent, nous comme les autres. Mon père s’apprêtait à vendre le vignoble et la maison. Je travaillais à l’époque pour l’Oréal, et l’idée de perdre le domaine me chagrinait énormément. Revenir sur les terres de ma famille avait du sens, c’est comme ça qu’assez naïvement et spontanément, je quittais mon poste en 1993 et je revenais a Damery, village de bord de Marne, situé à 4 kilomètres d’Epernay, siège des Champagnes AR Lenoble. Mon père et moi allions faire équipe avec ses compétences dans le vignoble et l’élaboration des vins et moi dans la stratégie et la gestion de la Maison. Sauf que quelques mois après mon arrivée mon père tombe malade et se retire des affaires. Je me suis retrouvée avec les clés du domaine, sans doute un peu trop tôt.
Comment avez-vous géré la Maison seule, sans formation, sans expérience ?
J’ai mis en place, assez rapidement une stratégie qu’on suit encore aujourd’hui. Elle se révélera pertinente, mais au départ elle était surtout intuitive. J’ai raisonné avec la mémoire de ce que j’ai entendu, et de ce que mon père m’avait dit. J’ai beaucoup testé et goûté déjà. Puis, j'ai réalisé qu’on avait la chance d’avoir un vignoble absolument exceptionnel à Chouilly, un des 6 classés en Grand cru en Chardonnay, puis à Bisseuil, village classé Premier Cru sur la Montagne de Reims. Ma stratégie part du principe que personne ne pourra faire ce que je vais faire, c’est-à-dire des vins issus exclusivement de ces grands terroirs, sur des petites surfaces et avec beaucoup de caractère.
Comment avez-vous mis en place cette nouvelle stratégie ?
Avec mon frère, Antoine, qui m’a rejoint en 1996, nous avons travaillé ensemble cette stratégie. Mais en réalité une fois qu’on a élaboré et défini cela, nous avons mis 25 ans au total pour avoir un résultat totalement abouti. C’est simple, pour avoir des vins de caractères et augmenter sa qualité, il faut travailler les vignes. Il faut qu’elles expriment ce terroir. La matière première, le fruit, la qualité, la maturité, le goût du fruit, c’est ESSENTIEL !
Nous avons aussi travaillé la terre pour améliorer la qualité des sols et donc de ces vignes. On s’est rapidement orienté vers une démarche de biodiversité des sols. La vigne doit avoir de bons nutriments pour se nourrir, et puis nous avons baissé les rendements. Tout cela à déjà pris 10 ans avant d’arriver à une qualité de raisins qui corresponde à ce que l’on voulait. Puis, nous avons été certifiés HVE 3 en 2012 grâce à une démarche globale engagée dès 2000. Nous avions dès le départ une conviction profonde de respect de la nature, des sols, et des raisins.
La seconde étape consistait à travailler les vinifications ?
Absolument, nous avons commencé par bloquer les fermentations malolactiques pour aller chercher plus de précision dans les vins et d’expression sur les finales. Et puis en 2010, par soucis de travailler la fraîcheur, la minéralité et la précision de nos vins, nous avons commencé à élever nos vins de réserve en magnum. C’était très innovant en 2010. On élève ces vins un peu plus de 6 ans. Au bout de 6 ans, on ouvre les magnums à la main. On met ce vin dans une cuve dans l’attente de l’assemblage de la récolte de l’année. Une fois l’assemblage effectué, nous mettons en bouteille pour la prise de mousse dans le flacon final et nous repartons pour 4 à 6 ans d’élevage. Par exemple pour le MAG14, cela signifie que la vendange principale est de 2014, MAG pour l’élevage en magnum des vins de réserve. Nous avons mis en bouteille en 2015, pour une sortie en 2021.
